* Source extraite du livre « Investir dans les titres
de valeur » de l’auteur André Gosselin.
« Battre le marché », « Battre Wall Street », « Battre
le Dow Jones »: nombre d'ouvrages sur l'investissement vous promettent de
réaliser cet objectif qui consiste à obtenir un rendement de portefeuille
supérieur à la moyenne. Les titres de quelques-uns des best-sellers publics ces
dernières années aux États-Unis suffisent à illustrer l'importance de cet enjeu
dans la culture de l'investisseur: Beating the Street (de Peter Lynch); Beating
the Dow (de Michael O'Higgins); The dividend investor: A safe and sure way to
beat the market (de Harvey Knowles et Damon Petty); How to retire rich: time-tested
strategies to beat the market and retire in style (de James
O'Shaughnessy); The Motley fool investment guide: How the fool beats Wall
Street's wise men and how you can too (de David et Tom Gardner). Autant de
formules chocs qui veulent dire la même chose: obtenir les quelques points de
pourcentage (2 % ou 3 %) dans le rendement de votre portefeuille qui font la
différence entre une retraite dorée et une retraite dépendante de l'État.
Cela peut paraître ridicule pour certains, mais les
investisseurs américains se souviennent des propos d'Albert Einstein qui
affirmait que les rendements composés sont la plus grande découverte de
l'histoire de l'humanité. Qu'il suffise de donner un autre exemple: un
rendement de 10% par année pendant 30 ans, à partir d'un investissement initial
de 10 000 $, peut paraître tout à fait acceptable; or, à ce rythme,
l'investisseur se retrouve avec un capital accumulé de 174 500 $ à l'âge de la
retraite, contre 300 000 $, comme on le sait, s'il a réussi à obtenir un
rendement de 12 % par année plutôt que 10 %. Un tout petit 2 % de plus en
rendement annuel composé fait une grosse différence après 30 ans. Tout est
relatif, dirait Einstein, à l'exception des mathématiques financières.
Les petits investisseurs américains ne manquent pas de
modèles pour réaliser leur projet de battre le marché. Warren Buffett, la plus
grande légende vivante dans l'univers de la finance et de l'investissement, est
décrit comme l'un des rares Américains à être devenu milliardaire grâce à la
Bourse. Il possède l'une des plus grandes fortunes des États-Unis et n'est
devancé que par Bill Gates, le président et fondateur de Microsoft, dont il est
un ami personnel.
Buffett n'a jamais écrit de livre sur sa stratégie
d'investissement, mais on a publié tant d'ouvrages et d'articles à son sujet
qu'on peut dire que sa philosophie de placement exerce une influence énorme sur
les petits investisseurs américains et leur façon de gérer leur portefeuille.
La personnalité de Buffett, sa simplicité, son style de vie modeste et son
grand talent pour vulgariser l'art de l'investissement à la Bourse ont tout
pour séduire. Si l'approche de Buffett lui a permis d'être multimilliardaire,
pourquoi ne permettrait-elle pas à l'investisseur moyen d'être simplement
millionnaire? Le mythe Warren Buffett est attirant, mais sa stratégie
d'investissement, aussi simple soit-elle, n'est pas à la portée du premier
venu.
Peter Lynch est une autre légende vivante de
l'investissement qui a servi de modèle à des milliers de petits investisseurs.
Gestionnaire de l'un des plus gros fonds de placement des États-Unis (le fonds
Magellan de Fidelity), Lynch a procuré aux actionnaires de son fonds un
rendement de plus de 20% par année pendant 10 ans au cours des années 1980. II
est aussi l'auteur de trois livres sur la Bourse qui sont autant de best-sellers
et qui ont contribué à créer l'une des stratégies d'investissement
parmi les plus populaires aux États-Unis. Ses bouquins ont été traduits en de
nombreuses langues, notamment en français, en allemand, en japonais, en coréen,
en suédois et en espagnol. Lynch a pris sa retraite à titre de gestionnaire du
fonds Magellan en 1990, mais il continue d'être très actif sur la place
publique et dans ce qu'on pourrait appeler l'industrie de l'éducation populaire
en investissement. II accorde régulièrement des entrevues aux magazines
financiers les plus en vue, et il a même participé à la création d'un logiciel
pédagogique sur l'art du placement en Bourse.
La stratégie d'investissement de Peter Lynch ou celle
de Warren Buffett sont conçues pour Peter Lynch et Warren Buffett. Elles ne
sont pas nécessairement faites pour l'investisseur moyen. II y a un effort très
louable de la part de ces deux grands investisseurs pour vulgariser, pour
démystifier, pour critiquer et pour transmettre au plus grand nombre le savoir
financier et les principes élémentaires du placement en Bourse. Mais, à mon
sens, cela n'est pas suffisant pour protéger ou pour promouvoir les intérêts
des petits investisseurs. L’investisseur qui adopte les méthodes de Lynch ou
celles de Buffett est loin d'être assuré qu'il aura, toutes proportions
gardées, les mêmes rendements qu'eux. II aurait tort de penser qu'il a de
bonnes chances de battre le marché s'il applique, telles quelles, les
stratégies enseignées ou pratiquées par ces deux autorités de la finance. Ce
n'est pas parce qu'elles ont fonctionné pour Lynch et pour Buffett qu'elles
vont être efficaces pour tous les autres.
J'ai lu peu de critiques sur les stratégies
d'investissement de Warren Buffett ou de Peter Lynch. Ces gens sont des
intouchables. L'équivalent d'un Abraham Lincoln, d'un Neil Armstrong ou d'un
Michael Jordan. Des personnages légendaires qu'on ne peut attaquer puisqu'ils
ont réussi. N'incarnent-ils pas le rêve américain dans toute sa splendeur? Des
individus partis de rien qui, à force de travail et d'acharnement, ont grimpé
au sommet de la pyramide financière. De fait, on peut difficilement s'en
prendre aux individus. Ce sont des hommes remarquables, parmi les plus
intègres, les plus honnêtes, les plus accessibles et les plus compétents de
leur profession. J'en conviens, leur succès est phénoménal et mérite le plus
grand respect.
Néanmoins, il faut établir une distinction entre
l'individu et son système, faire la différence entre le professionnel et sa
philosophie de placement. Les méthodes d'analyse boursière et de gestion de
portefeuille de Lynch et de Buffett constituent des menaces graves pour
l'investisseur moyen. II faut le crier haut et fort, et en être bien conscient.
Une minorité d'investisseurs peut sans doute réussir grâce à ces stratégies
légendaires, mais je suis persuade que la très grande majorité de ceux qui se
lancent dans ces aventures singulières courent à leur perte.
André Gosselin
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