Chronique d'André Gosselin parue sur le site
lesaffaires.com.
Avant de vendre à découvert, disait Peter Lynch, il
vous faut plus qu’une conviction que la compagnie est au bord du désastre. Il
vous faut la patience, le courage et l’argent nécessaire pour tenir bon si
jamais le titre ne chute pas, ou pire, s’il monte.
«Les actions dont le cours est supposé baisser mais ne
baisse pas, écrit-il avec l’humour qu’on lui connaît, me rappellent ces
personnages de dessins animés qui ne tombent pas des falaises mais continuent à
marcher dans les airs. Tant qu’ils ne prennent pas conscience de leur situation
difficile, ils restent indéfiniment là-haut».
Il y a donc beaucoup d’investisseurs, ces temps-ci, qui
perdent des sommes importantes à essayer de faire de la vente à découvert.
Espérons que ce ne sont pas les mêmes que ceux qui ont perdu leur chemise avec
l’éclatement de la bulle des technos, et qui tentent de se refaire par le moyen
de la vente à découvert.
Parmi les titres ayant les plus forts volumes de vente
à découvert (en chiffres absolus), on trouve Microsoft, Intel, Cisco,
Amazon.com, Oracle, Dell, Amgen et Yahoo. On ne peut pas dire qu’il s’agit là
de compagnies sur le bord de la ruine. Plusieurs experts en science de la
gestion vous diraient que ce sont d’excellentes compagnies, parmi les mieux
gérées et les plus novatrices au monde. D’ailleurs, Microsoft, Intel et Cisco
font également partie de la liste des 20 titres les plus présents dans le
portefeuille des ménages américains.
C’est probablement pour cette dernière raison, entre
autres, que certains investisseurs audacieux décident de les vendre à
découvert. Aussi remarquables soient-elles, les actions de ces compagnies se
vendent à un prix trop élevé, croient-ils généralement.
Ainsi, il semble qu’une stratégie de vente à découvert
très prisée chez nos voisins du sud vise carrément les compagnies les plus
populaires. On ne peut pas être davantage à contre-courant. Ces investisseurs
font simplement le pari que les titres les plus populaires sont toujours trop
chers, et que tôt ou tard ils retrouveront un cours plus normal. Un pari que
Peter Lynch trouverait sans doute trop risqué.
Bien sûr, on trouve dans la liste des 20 candidats
favoris à une vente à découvert des compagnies qui ne sont par nécessairement
reconnues pour leur excellence. Elles ont un endettement inquiétant, peu ou pas
de bénéfices, et leur modèle d’affaire est très fragile et incertain. Je pense
notamment à Charter Communications, Sirius Satellites, XM Satellite Radio,
Level3 Communications, Nextel Communications, Comcast, InterActive Corp. et
Juniper Networks.
On compte à peine une dizaine d’études sur les
rendements de la vente à découvert. La grande majorité démontre que cette
stratégie d’investissement, telle qu’elle est pratiquée sur les marchés
américains, est une activité rentable. Ceux qui s’adonnent à la vente à
découvert, observent les chercheurs, sont des investisseurs plus compétents et
informés que la moyenne, et les rendements de leurs portefeuilles en font foi.
Les deux recherches les plus intéressantes et
exhaustives, à ma connaissance, ont porté sur les marchés de l’AMEX et du NYSE
pour la période 1976-1993 (Dechow et al.), et le marché du Nasdaq pour la
période 1988-1994 (Desai et al.). Dans les deux cas, les chercheurs ont montré
que les titres les plus vendus à découvert (quand on compare la proportion de
leurs actions vendues à découvert avec leurs volumes d’actions en circulation)
génèrent effectivement des rendements négatifs et donc, en apparence, des
profits pour les vendeurs à découvert. Et n’oublions pas qu’ils ont réussi cet
exploit dans un marché fortement haussier.
On imagine très bien que leur performance fut encore
meilleure avec la chute des marchés en 2000, 2001 et 2002.
Références:
Dechow, P.M., Hutton, A.P., Meulbroek, L., et R.G.
Sloan, "Short sellers, fundamental analysis and stock returns", Journal of
Financial Economics, 61, 2001, p. 77-106.
Desai, H., Ramesh, K., Thiagarajan, S.R., et B.V.
Balachandran, « An investigation of the informational role of short interest in
the Nasdaq market¡, 2001, à paraître dans le Journal of Finance.
André Gosselin
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