* Source : Livre : « Investir dans les titres
de petites entreprises», écrit par André Gosselin, aux éditions
Transcontinental.
On peut décrire le travail des analystes
financiers sous l’angle suivant : ils cherchent à prévoir ce que l’on
trouvera dans les rapports financiers trimestriels et annuels des
entreprises, et ils tentent de répondre à la publication de ces
données financières soit en réitérant leurs prévisions et leurs
recommandations, soit en les révisant si les résultats financiers
s’écartent passablement de leurs prévisions. Dans ce dernier cas, ils
essaient de se justifier et de donner les raisons pour lesquelles les
résultats réels de la compagnie s’écartent beaucoup de leurs
prévisions. Un aspect du travail des analystes consiste donc à
énoncer dans leurs rapports des arguments de justification, une sorte
de rhétorique subtile, par lesquels ils s’expliquent de leurs
erreurs.
La plupart des analystes réajustent leurs
prévisions et leur recommandation le plus tôt possible après les
annonces de bénéfices par les entreprises. Ces activités de révision
sont évidemment plus importantes lorsque les résultats financiers des
entreprises s’éloignent des prévisions (notamment quand les bénéfices
réels sont inférieurs aux bénéfices attendus) et que plusieurs
analystes suivent la même société 93. Lorsque les bénéfices dépassent
les attentes de l’analyste, celui-ci est rassuré et ne refait un
rapport que s’il est convaincu qu’il doit corriger à la hausse ses
prévisions pour le prochains trimestres. Quand, à l’inverse, les
bénéfices sont inférieurs à ses attentes, l’analyste se sent obligé
de refaire ses devoirs et de se justifier, même s’il est convaincu
que ses prévisions ne changeront pas pour les autres trimestres.
Or, l’intense activité de réajustement des
recommandations et des prévisions des bénéfices par les analystes est
associée de près à ce que l’on appelle les bénéfices surprises. Il
suffit de suivre les activités de révision des bénéfices et de mise à
jour des recommandation par les analystes pour dénicher des titres
aux rendements supérieurs à la normale. D’ailleurs, plus l’écart
entre la prévision initiale et la prévision corrigée est grand, plus
la réaction des cours est élevée et se prolonge dans le temps
(jusqu’à six mois). La science financière a amplement démontré cette
relation causale sans que j’y insiste trop.
L’investisseur a tendance à croire, avec
raison, que lorsque l’analyste renouvelle ses recommandations, il a
aussi modifié ses prévisions des bénéfices des entreprises. Certes,
une recommandation d’achat ou de vente peut changer pour plusieurs
raison, mais, généralement, si l’analyste réajuste ses
recommandations, c’est qu’il a modifié ses prévisions des bénéfices.
Les professeurs Jennifer Francis et Leonard
Soffer (1997) ont démontré que, pour un même titre, les changements
dans les recommandations des analystes ont un effet sur le cours des
actions qui est partiellement indépendant des changements dans leurs
prévisions des bénéfices. Ils ont constaté, cependant, que les
investisseurs attachent une plus grande signification aux révisions
des bénéfices lorsqu’elles sont accompagnées d’une recommandation de
conserver ou de vendre les actions 95.
Les bénéfices surprises et les titres de
petite capitalisation: un excellent filon
Claudia Mott est une autorité dans le milieu
des investisseurs institutionnels spécialisés dans les titres de
petite capitalisation. Première vice-présidente chez Prudential
Securities et directrice du service de recherche sur les petites
capitalisations, Claudia Mott favorise une approche mécanique et
quantitative de l’investissement. L’une des anomalies du marché
qu’elle préfère est celle des bénéfices surprises. Les recherches
qu’elle mène avec son équipe de Prudential Securities l’ont
convaincue que la stratégie qui consiste à choisir des titres en
fonction des bénéfices non prévus (bénéfices qui dépassent les
attentes des analystes) est l’une des meilleures méthodes qui soient
dans le segment des petites capitalisations.
Nous savons déjà que les compagnies qui
réalisent des bénéfices supérieurs aux attentes des analystes et des
investisseurs professionnels ont tendance à voir leur titre grimper
de façon substantielle durant les quelques mois qui suivent. Ce effet
de surprise, à en croire Graja et Ungar, serait amplifié au sein des
titres de petite capitalisation. Par exemple, des bénéfices positifs
supérieurs aux attentes des analystes génèrent en moyenne, dans la
catégorie des petites capitalisations, un rendement de l’action de
13,7 % pour 3 mois, contre 5,7 % pour les titres de grande
capitalisation.
Les premiers travaux sur les bénéfices
inattendus des entreprises et leur répercussion sur le cours des
titres remontent au début des années 1970, grâce, notamment, à la
contribution des professeurs Latané, Jones et Rieke 96. Ces derniers
ont découvert que, lorsque les entreprises déclarent des bénéfices
inattendus de la part des analystes, supérieurs à ce qu’ils pouvaient
en moyenne prévoir, le cours de leur titre fait des gain au-delà de
la normale. Les chercheur ont également observé que si les bénéfices
imprévus sont annoncés pour un trimestre, il y a de bonnes chances
que le trimestre suivant comporte également l’annonce de profits que
les analystes n’avaient pas prévus. On a appelé ce phénomène « la
théorie des cafards » (cockroaches theory).De même que la présence
d’un unique cafard est l’indice que d’autres sont cachés, un
trimestre de bénéfices surprises vient rarement seul. Et ce, peu
importe la taille des entreprises.
Parmi tous les facteurs retenus dans les
modèles quantitatifs testés par Claudia Mott, l’effet « bénéfices
surprises » est celui dont le rendement est le plus constant dans le
marché des petites capitalisation 97.
En moyenne, lorsque les petites compagnies
déclarent des bénéfices qui surprennent positivement les analystes,
le prix des leurs actions, au cours des 12 mois suivants, fait des
gains de 12,9 % supérieurs à ceux de l’indice des titres de petite
capitalisation Russel 2000.
On peut aussi appliquer au secteur des titres
de petite capitalisation la théorie des cafards. En effet, 34 % des
compagnies qui ont rapporté des bénéfices positifs inattendus au
cours d’un premier trimestre répètent la surprise au cours du
trimestre suivant. En revanche, 41 % des compagnies qui déclarent des
bénéfices inférieurs à ceux prévus au cours d’un premier trimestre
répètent cette mauvaise surprise au cours du trimestre suivant.
Toutefois, l’effet mauvaise surprise n’est pas catastrophique sur le
prix de l’action, car en moyenne les compagnies en cause ont un
rendement de 3,5 % inférieur à l’indice de base pour un an. Enfin,
les secteurs industriels où l’on trouve le plus de déclarations de
bénéfices inattendus sont ceux des soins de santé, des services
financiers, de la technologie et des services de consommation.
André Gosselin
|